La régression est une étape de l’évolution. Pour les uns, elle peut durer une semaine, pour les autres un mois, un an, une décennie, une fin de vie… Peu importe, nous avons le libre arbitre de choisir notre vie, de décider des efforts que nous consentons à faire, des sommets que nous voulons gravir et des vallées dans lesquelles nous décidons de nous établir. Il n’est écrit nul part que nous devons progresser sans nous arrêter.
Je vois autour de moi des personnes qui semblent atteindre leurs limites personnelles, qu’elles soient temporaires ou non. Leurs fonctionnemens est égal à celui des enfants qui, lorsqu’ils ont accompli un grand progrès dans leur vie, se mettent en état de régression pour un temps. Après avoir fait leurs premiers pas, les bébés se remettent très souvent à marcher à quatre pattes, comme s’ils n’avaient jamais marché debout auparavant. Après avoir appris à ne plus faire pipi au lit, le jeune enfant fait quelques nuits de suite pipi au lit au désespoir de ses parents qui se demandent s’il faut lui remettre des couches ou lui faire confiance?
La régression est une étape naturelle. Nous sommes poussés au progrès et à l’évolution par le désir d’autonomie, de liberté, de puissance, de pouvoir (à prendre sous le sens de pouvoir créer des choses par soi-même). Ce désir de s’élever nous guide dans l’accomplissement de notre émancipation. Le petit enfant qui veut marcher debout à envie de se tenir droit comme les adultes, pour être considéré comme un adulte. Et lorsqu’il réussi, toute la fierté du monde se lit sur son visage.
Si nous sommes fiers de nos progrès, pourquoi décidons-nous alors de régresser? Pourquoi le bébé va-t-il se remettre à marcher à quatre pattes ?
Parce que chaque évolution, chaque progrès nous rend plus autonome et fragilisent un peu plus les liens que nous avons avec les personnes de nos cercles relationnels les plus proches, les plus inférieurs. Ainsi, le petit enfant qui a appris à marcher ne pourra plus autant solliciter les bras de sa maman. L’indépendance de la marche le rend plus autonome et il va réduire l’intensité du lien avec l’adulte. Il en est ainsi dans chaque relation. Lorsque nous progressons dans notre vie, nous réduisons l’intensité (la dépendance) des relations de nos cercles les plus intimes. Plus autonome dans sa vie professionnelle, moins dépendant de son partenaire. Plus autonome dans son image public et la transmission de son savoir, moins dépendant de son travail…
Nous avons peur de perdre le lien avec nos proches. Nous craignons un moment de ne pas avoir la force de continuer notre route seul si nous nous détachons trop vivement de nos proches. Nous craignons une réaction de rejet ou d’abandon si nous montrons trop violemment notre indépendance et notre autonomie. Alors nous passons généralement par une période de régression pendant laquelle on va goûter un petit peu encore à la dépendance, se réduire volontairement à l’incapacité d’accomplir les actions que nos progrès ont mis pourtant à la portée de notre main. C’est la régression !
Elle peut durer ou ne pas durer mais elle suit toujours le même cheminement.
La notion de régression touche de manière évidente la compétence acquise : on décide de ne plus se servir de sa compétence acquise à l’image du petit enfant qui décide de ne plus marcher debout. Mais elle touche aussi notre vie relationnelle. Les cercles relationnels le montrent de manière évidente. Lorsque l’on régresse, on aura tendance à régresser dans les cercles aussi, à se couper des relations des cercles supérieurs et à renforcer les liens avec les cercles inférieurs.
Dans une phase où nos progrès vers l’autonomie et la liberté nous avaient permis d’enrichir nos liens vers les cercles relationnels supérieurs, on se retrouve à régresser vers les cercles inférieurs dans lesquels nos compétences nouvellement acquises ne servent à rien. On régresse vers l’état d’enfant pour se remettre dans un cercle ou notre état d’adulte est moins sollicité, moins nécessaire, moins souhaité, moins attendus.
Voici un exemple courant : dans un couple, un des deux partenaires se trouve à un carrefour de vie. Il rencontre des amis (cercles supérieur au couple) qui lui ouvrent des horizons et des perspectives nouvelles en partageant un point de vue extérieur au couple. Le partenaire est attiré par cette relation, il développe son désir d’autonomie, d’évolution, de progrès. Mais les actes qu’il doit accomplir pour évoluer lui demande de remettre en question la manière dont fonctionne le couple. Il décide alors de se replier sur son partenaire de couple et le plus généralement, il va couper définitivement avec les amis qui lui avaient ouverts des horizons nouveaux.
Un autre exemple courant est celui de personnes très entourées par un cercle d’amis qui constitue une petite tribu, un groupement de valeur fort auquel la personne s’est identifiée. Un jour cette personne s’ennuie de ses habitudes et recherche, par un travail personnels effectués avec des psy, thérapeutes (cercle de vie supérieur aux amis)… une consistance plus grande à sa vie. Elle développe sa compétence à se reconnaître dans des valeurs propres. Au moment de poser des actes qui rendent concrets son changement et risque d’impacter fortement sa relation avec son groupe d’amis, elle prend peur, oublie ses valeurs personnelles, rejoint son groupe d’amis et coupe avec ses thérapeutes et autres accompagnants.
L’un et l’autre choisissent de régresser ce qui impliquent :
– de renoncer à ses progrès et compétences nouvellement acquises,
– de couper les relations qui ont accompagné le développement personnel,
– de raffermir les liens dans les cercles relationnels inférieurs.
La conséquence est la remise en place temporaire d’une dépendance.
J’ai souvent dans ma vie – en écrivant ce texte, je me rends compte à quel point j’ai vécu cela dans tous les cercles – était dans des situations d’incompréhension totale face à des ruptures de liens avec des personnes que j’avais accompagnées de tout coeur. Souvent même ces ruptures de liens étaient accompagnées de violentes trahisons, dénonciations calomnieuses… Je n’en comprenais pas la raison. Je le comprends maintenant en l’écrivant.
Il est difficile voir insupportable, en reniant une partie soi-même qui nous amenait vers un progrès, de rester proche de ceux qui symbolisent et encouragent ce progrès, qui symbolisent l’autonomie et la liberté à laquelle on a renoncé. Alors pour couper un lien auquel on n’a rien à reprocher si ce n’est qu’il nous éclaire une voie de bien-être à laquelle on renonce, il faut s’inventer un prétexte puissant et mettre assez de violence pour se persuader d’avoir raison.
La régression d’un adulte, aussi violente soit-elle, reste une étape naturelle. Elle est nécessaire pour affermir son désir de progresser et finalement, l’ancrer par la décision de renoncer consciemment au « confort » des relations intimes que nous avons dans les cercles inférieurs.
Certains régressent en douceur, d’autres violemment. Certains régressent quelques heures, jours, semaines, se voient faire et reprennent leur vie en comprenant les renoncements qu’ils ont à faire. Certains régressent des années ou des décennies entières. Ils jouent à la belle au bois dormant et endorment bien profondément ce qu’ils savent d’eux-mêmes. Ils se replient chaudement sur quelques cercles relationnels de proximités dans lesquels ils acceptent toutes sortes de concessions en attendant, dans cette vie ou dans une autre d’avoir accumulé assez de désespoir de leur condition et rassembler assez de courage, pour reprendre le chemin de leur liberté. Tôt ou tard, ils le feront. C’est ça la bonne nouvelle. Les êtres humains, quoiqu’ils fassent, sont toujours en chemin vers le progrès.
Ainsi va la vie. Comme la vague qui va et vient, nous progressons lentement avec nos régressions.
je comprends tout ce que tu dis, je l’ai vécu, je me vois régresser et dire j’abandonne tout, me coller à des vieilles habitudes, me prostrer su mon canapé.
Et puis ça passe, parce que pousser par quelque chose de plus fort que soi, parce que je fais le choix d’en sortir même si au lieu de faire dix pas, j’en fais qu’un en me disant c’est déjà ça
accepter les pertes amicales, familiales, se voir lutter avec ses accompagnants et être aussi de l’autre côté, se voir abandonner
ce texte est vraiment une pépite
J’étais loin d’avoir cette compréhension là, que je sens si juste.
Il va me permettre d’être plus dans l’acceptation des moments de régression de mon entourage et aussi des miens lorsque je mets du temps pour poser matériellement mes projets.
Merci beaucoup pour ce texte, Tristan.
C’est très juste ! J’ai vécu des deuils relationnels forts avec ma famille en fin d’année dernière. Un truc énorme que je n’avais pas venu venir puisqu’il est arrivé par l’intervention de quelqu’un. Ce n’était pas un conflit direct entre moi et eux. C’était donc bizarre pour moi à vivre.
Depuis quelques temps, je vis quelque chose de plus fort pour moi en souffrance, parce que cela m’isole. Je partage pleinement qu’avec très peu de personnes, amicalement. Et là, je meretrouve seule. Ca c’est vraiment un truc difficile à vivre pour moi. C’est un autre deuil, une transition, et je sais qu’elle me remue émotionnellement. Je me reikifie de la tête au pieds et me relaxifie jusqu’au coeur pour traverser ça, à défaut d epouvoir payer quelqu’un pour parler (la blague qd même ! lol)
J’aimerais bien que tu développes ta phrase » Plus autonome dans son image public et la transmission de son savoir, moisn dépendant de son travail ». je trouve ça intéressant, je sens que ça pourrait me dire quelque chose, mais je ne suis pas sûre de vraiment comprendre ce que tu veux dire…
Merci pour cet article !
Merci pour cet article, j’ai aussi compris quelque chose d’important en te lisant. Vis à vis de ma pomme et vis à vis des autres. Qui va m’amener à mieux vivre certaines situations, avec d’indulgence, de compréhension, d’acceptation; et moins dans la peine, la colère.
En ce qui concerne mes régressions personnelles, je sais que ce qui m’a permis et me permet de repartir à chaque fois, c’est de ne jamais lâcher l’accompagnement, quel qu’il soit. Ne jamais lâcher « le GPS », le signal émis par une ou plusieurs personne extérieures qui écoutent, éclairent, ont un recul et un discernement que je n’ai pas…et répètent autant de fois que nécessaire. Jusqu’à ce qu’un jour, la lumière et le déclic se fassent chez moi.
Merci beaucoup.
Un texte.tellement juste qui m’accorde de comprendre la période que je traverse moi-même en tant que professionnelle de l’accommagnement.
Merci pour cette transformation.
Cordialement.
Bonjour Claire,
Merci de votre message. j’écris peu sur ce site et pourtant, j’ai bien envie de m’y remettre. Votre message me fait comme un appel. C’est moi qui vous remercie.
A bientôt et bon cheminement
Je viens de lire votre texte et les explications que vous donnez sur la régression. Cela m’éclaire sur les situations que je vis depuis quelques temps . je comprends mieux le mécanisme ; et au lieu de me culpabiliser sur les conséquences qu’engendrent mon cheminement, j’arrive à me dire que je suis sur le bon chemin. Votre texte m’apporte de l’aide. Merci à vous.
Merci à vous de votre témoignage Caroline, je suis ravi que ce texte vous ai aidé.
Je voulais simplement vous remercier pour cet article.
Vous posez des mots dont la bienveillance apaisent mon anxiété. Je me jugerais avec moins de véhémence la prochaine fois 🙂
Au final, je pense que c’est avec l’acceptation douce et aimante de soi-même qu’on évolue.
Oui, je le pense aussi. Merci Rayla pour ce témoignage. A bientôt